samedi 21 juin 2014

Hymnes, élégies et autres poèmes de Hölderlin



Accroche : 

Cet ouvrage contient comme son titre l'indique des hymnes, des élégies et divers poèmes de Hölderlin, mais également un essai de Theodor Adorno, Parataxe, sur la poésie de Hölderlin, ainsi qu'un dossier constitué par Ph Lacoue-Labarthe avec notamment six traductions différents de l'élégie Pain et Eau.

Auteur : Friedrich Hölderlin
Traducteurs : Armel Guerne
Recueil de poèmes
254 pages

Mon avis :


Faire une critique/chronique/commentaire des poésies de Hölderlin n’est pas une mince affaire, sachant que les plus grands penseurs, critiques ou poètes du 20e siècle s’y sont essayés, de Walter Benjamin à Theodor Adorno, de Martin Heidegger à Michel Deguy, de Pierre Bertaux à Jean Wahl, d’Armel Guerne à Philippe Jaccottet pour n’en citer que quelques-uns.
Loin de moi l’idée de proposer une interprétation originale de la poésie holderlinienne, je dégagerai juste quelques thèmes que j’interprèterai en fonction de ma sensibilité, de mes lectures. J’ignore si Hölderlin est Le Poète avec un grand P, « le poète du poète », celui qui dégage l’essence de la poésie, s’il est parvenu à restituer le pur langage, s’il a su dépasser les apories de la pensée, etc., mais je retrouve dans ses mots une beauté qui a du sens, il sait me parler, m’émouvoir comme peu de poètes y parviennent. Tant la richesse thématique est grande chez cet auteur, j’aurais pu mettre en avant sa fascination de la nature, comment il chante l’amour et surtout la Grèce antique, mais je pointerai du doigt surtout sa conception du poète et son rapport aux dieu/divin/sacré et ce qui est considéré comme « la césure », à savoir la prise de conscience du désenchantement du monde, la disparition/l’exil des dieux.

Le monde de l’enfance est un monde magique, enchanté ; il suffit à un enfant de demander à ses parents quelque chose pour qu’il l’obtienne. Ce monde que l’enfant ne comprend pas, il le découvre peu à peu en interrogeant les adultes. Oui, ce monde lui est très mystérieux, avec des géants qui le peuplent (les grandes personnes). Ce monde est celui d’avant « la mort de Dieu ».

« Quand j’étais un enfant
Un dieu souvent me retirait
Des cris et des fouets des hommes.
Je m’amusais alors en sûreté. » (Quand j’étais un enfant)

Mais il s’agit du monde de l’enfance où les dieux sont présents. Qu’en est-il du monde des adultes ?
« Un dieu me parle, vivifiant, du profond de son temple.
Vivre ! ah ! je le veux aussi ! déjà le vert revient ! et c’est comme un appel
De la lyre sacrée venu des monts argentés d’Apollon ! » (Lamentation de Ménon)

Le poète est-il capable d’entendre encore, tel un enfant, la parole sacrée des dieux ? Apparemment. À moins que ce ne soit une illusion tant désirée ?
« Allons ! ce fut un rêve ! » dit-il dans le vers suivant et dans l’élégie Pain et vin, il s’interroge ainsi :
« Delphes dort, et sa voix où la fait-il entendre, le grandiose Destin ? »

Si les dieux ont déserté le monde des hommes, Hölderlin s’interroge alors sur la vocation du poète :
« — et des poètes à quoi bon, dans ce temps d’indigence ?
Pourtant ils sont, dis-tu, tels les prêtres sacrés du dieu du vin
Qui dans la nuit sacrée, passaient de pays en pays. » (Pain et vin)

Ce temps d’indigence (ou de misère, selon les traducteurs) est celui du désenchantement du monde. Les dieux vivent, mais hors de portée des hommes. En attendant leur retour, c’est au poète de chanter, de ramener l’espoir, de parler à leur place, de rappeler qu’ils existent toujours, en quelque sorte de ré-enchanter par leurs chants le monde :
« Puisqu’il demeure et apporte lui-même aux sans-dieux, ici-bas
Dans la ténèbre inférieure, le vestige des dieux enfuis. » (Pain et vin)

Hölderlin est le poète qui a pris conscience du phénomène de « la mort de Dieu ». Le mot de Nietzsche dans le Gai Savoir : « Dieu est mort » signifie qu’en Occident, à la fin du 18e siècle, il s’est passé un événement exceptionnel. Jusqu’alors l’humanité croyait que tout ce qui se déroulait était les conséquences d’un dessein extérieur, transcendant : les dieux, le Dieu unique, la Providence, Les voies du Seigneur, le surnaturel, les esprits, etc. Que les lois (structurant le monde et la société) provenaient de cet ailleurs et que des représentants de cette transcendance devaient gouverner les hommes : prêtres, pharaons, césars, rois, empereurs, etc. À la fin du siècle des Lumières, il n’en est plus ainsi, c’est l’homme qui impose les lois, tant du niveau politique (la révolution française), que du niveau gnoséologique (de la connaissance des choses, du monde. La révolution kantienne – « nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes » – ou scientifique avec Laplace : « Dieu ? Je n’ai pas besoin de cette hypothèse pour expliquer le système du monde »). Or, Nietzsche dit que cet événement a été silencieux, que le commun des mortels n’en a pas eu conscience dans l’instant. Hölderlin, lui, est la personne, le poète, qui a pris conscience de cet événement sans précédent et il en rend compte dans ses poésies. C’est peut-être cela qui le rend si exceptionnel dans l’histoire de la pensée, pour cela qu’Heidegger, par exemple, voit en lui le poète des poètes.

Et c’est cette tâche à laquelle Hölderlin invite les poètes à accomplir :
« Les poètes, il leur faut aussi,
Ces hommes de l’esprit être des hommes de la terre. » (L’unique)

… Rendre compte du spirituel, du sacré, du transcendant à la terre des hommes, au monde, à la société.
« Mais c’est à nous, pourtant, sous les orages de Dieu
Ô poètes ! à nous qu’il appartient de se dresser et tête nue,
C’est à nous de saisir de notre propre main
Jusqu’au rayon du Père et de le tendre ainsi,
Recelé dans le Chant, ce don du ciel, de l’offrir aux nations. » (Aux poètes)

Oui, Hölderlin s’est donné tout entier à sa tâche poétique. Pour lui, être poète donnait un sens suprême à sa vie, lui qui fut malheureux en amour, lui qui voulait retrouver la Grèce antique, lui qui a finalement sombré dans la folie.
« Mais qu’un jour me soit donné de réussir
Ce qui me tient à cœur, l’œuvre sacrée de poésie (…)
J’aurais vécu comme les dieux, et il n’en faut pas plus. » (Aux Parques)
Pas de doute, il a parfaitement réussi sa tâche de poète.

Quoi lire après...

Son roman Hypérion traduit par Ph Jaccottet et disponible chez Foliot, ou alors ses Œuvres dans la Pléiade.


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